La fascisation en marche ?

« Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution en temps de crise », écrivait le grand dramaturge Bertolt Brecht, contraint à l’exil par la prise de pouvoir du parti nazi en 1933. Ça ne veut pas dire du tout que le fascisme parvient au pouvoir démocratiquement. Ça veut dire plutôt que la « démocratie » n’est souvent qu’un fascisme en attente, en incubation. Il faut dire que, contrairement à ce qu’on entend sans cesse répéter, le parti nazi n’est pas arrivé au pouvoir « démocratiquement » en Allemagne : les élections de novembre 1932 marquent au contraire un net recul de l’influence électorale du parti, au point que les observateurs de l’époque le jugent fini: l’historien Johann Chapoutot nous le rappelle très bien dans la vidéo ci-dessous. Si les nazis arrivent au pouvoir, c’est parce que les grands industriels et la haute finance allemande, la « classe capitaliste », voit dans le parti l’ultime recours contre la menace d’une révolte des classes laborieuses. Le « centre », l' »extrême centre » comme on dit, les « libéraux » supposément « modérés », font naturellement alliance avec l’extrême droite en situation de crise. Et il y a quelques jours, Macron jugeait « tout à fait normal » de s’appuyer sur le Rassemblement National pour faire voter ses lois.

Johann Chapoutot a une connaissance fine et précise de l’histoire des années 1930 en Allemagne, à laquelle il a consacré déjà pas mal d’ouvrages reconnus comme Le nazisme et l’antiquité, La loi du sang ou La révolution culturelle nazie. « L’orgie d’alliances avec l’extrême droite » à laquelle le « centre » macroniste se livre depuis plusieurs mois ne peut manquer de faire un peu tiquer, et « l’histoire sert à faire teinter le tympan » remarque-t-il. C’est simple : « Nous sommes en période de fascisation », et ce d’une manière assez semblable à ce qui s’est passé dans l’Allemagne des années 1930. Il faut dire qu’on a tendance à identifier la politique nazie à la période de guerre, celle qui aboutit aux meurtres génocidaires à l’encontre des Juifs. Mais il y a eu toute une politique et une économie nazie avant, entre 1933 et 1939, que toute l’élite économique européenne observe avec envie ! Une politique qui fait de l’Allemagne un paradis pour les investisseurs, débarrassés des syndicats et des normes contraignantes, profitant de l’écrasement des salaires, voire d’une main d’œuvre gratuite et esclavagisée ! Le rêve du patron du la FNSEA !

Après, on peut discuter la perspective générale. Quand Chapoutot parle de la « gauche », on peut se demander de quoi exactement il parle. Parce que c’est un peu large. De même, « État de droit », en général, ce n’est qu’un fantasme libéral, comme si le « droit » était neutre et n’était pas déjà la manière dont une élite organise pour elle-même et légitime son propre pouvoir. Ceux qui crient à la « fascisation » ne sont pas toujours très loin de simplement regretter la « séquence » précédente, qui est pourtant celle qui a logiquement mené à la séquence actuelle. Il faut approfondir, mais on peut aussi saluer l’analyse comme moment de notre réflexion politique.

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