Salutation, camarade Britney Spears

En cette période de confinement, Britney Spears vient d’adresser un message à ses fans par Instagram qui n’est pas passé inaperçu.

« Pendant cette période d’isolement, nous avons plus que jamais besoin de connexion. Appelez ceux que vous aimez, écrivez des lettres d’amour virtuelles. Des technologies comme la communication virtuelle, le streaming, la diffusion d’informations, tout cela fait partie de la coopération de notre communauté. Nous allons apprendre à nous embrasser, à nous soutenir à travers les ondes du web. Nous allons nous nourrir mutuellement, redistribuer la richesse, et frapper. Nous allons apprendre notre propre importance de ces lieux où nous sommes confinés. La communion se déplace au-delà des murs. Nous pouvons encore être ensembles.  » Les trois roses rouges dont elle ponctue son message sur instagram sont d’ailleurs un symbole de l’internationale socialiste.

Ce n’est pas la première fois que Britney en appelle à la « redistribution des richesses » et à « frapper » (strike signifiant aussi la grève). Elle avait déjà expliqué en 2014 dans un interview pour le journal Dailymash que sa chanson Work Bitch était une dénonciation de l’exploitation des travailleurs et une défense de Karl Marx : « J’ai toujours chanté au sujet des relations entre le peuple et les systèmes économiques qui gouvernent leur vie. Par exemple, dans Gimme More, j’explorais le pouvoir séducteur du Capital. Work Bitch est une satire du fétichisme de la marchandise qui veut souligner que les véritables propriétaires des moyens de production, ce sont les travailleurs eux-mêmes. Quand, dans la vidéo, je fouette une femme qui porte des accessoires de bondage, c’est une métaphore. »

Le « fétichisme de la marchandise » est une idée centrale que Karl Marx expose brièvement dans son ouvrage Le Capital dont le premier tome fut publié en 1867. Une marchandise, c’est un objet produit qui s’échange sur un marché contre de l’argent. C’est un produit fabriqué pour la vente, alors qu’un enfant qui se confectionne un jouet le garde pour lui ou le prête aux copains. Il n’y a pas toujours eu des « marchés » et il y a beaucoup d’endroit où les hommes ne s’échangent pas ce qu’ils produisent sur un marché. Le marché, le fait que tout s’achète dans un marché, une grande surface, un petit commerce, c’est nouveau, c’est une caractéristique du « capitalisme ».

Ce qui est intéressant et curieux, c’est que la relation entre le producteur et sa production s’inverse, dans le capitalisme. Normalement, c’est le créateur qui domine sa créature, le producteur qui domine son œuvre : si un fabricant de marionnette bouge et fait parler le morceau de bois, il n’a pas l’illusion que le bois parle vraiment et s’anime tout seul : il sait que c’est lui qui commande les mouvements de la marionnette. A notre époque capitaliste, c’est l’inverse : le marionnettiste se met à genou devant sa marionnette ! Les hommes fabriquent les marchandises, mais sont complètement soumis à ces marchandises, ils ne comprennent rien aux variations de prix dans les magasins : le prix s’impose à eux, comme les approvisionnements. Pourquoi parfois les rayons sont vides, et parfois pleins ? Le consommateur n’en sait rien, il ne comprend rien. Pourquoi n’y a-t-il pas de masque, pas de test quand on en besoin ! C’est nous qui les fabriquons, c’est nous qui les distribuons !

C’est quoi, un fétiche ? Pour Marx, c’est une fabrication humaine devant laquelle l’homme se couche : il se couche devant sa propre création, l’implore, la prie comme le veau d’or ou comme une idole et vit tout ce qui lui arrive comme la volonté implacable de l’idole qu’il a pourtant lui-même fabriqué ! « Il faut rassurer les marchés », entend -on toujours en période de crise. Le « marché » ? Le marché serait un être vivant, avec un assez mauvais caractère ? Mais qui fabrique ce qui s’échange sur le marché ? Qui fait le marché ? Il y a une mauvaise religion cachée dans ce culte du marché et de la marchandise : les hommes se couchent devant ce qu’ils ont eux-mêmes fabriqué. Les cours de la bourse s’effondrent, et ce sont tous les financiers qui s’agitent : ce sont ces hommes, les marionnettes suspendus aux fils de la bourse, qui fait la pluie et le beau temps, le chômage et le plein emploi, l’abondance et les famines. Le mystère de notre époque, c’est la création de cette illusion de la marchandise comme fétiche, c’est-à-dire de cette fabrication humaine qui semble soudain animée d’une vie propre comme dans les cartoons de Walt Disney.

Britney Spears aurait adopté la critique radicale de nos sociétés capitalistes élaborée patiemment par Karl Marx ? Mais ne vit-elle pas elle-même des ruses de cette société ? Sa chanson n’est-elle pas une marchandise qui dénonce…la marchandise ? Est-ce une critique sincère, ou le signe que l’industrie du disque se sent suffisamment puissante pour produire sa propre critique, sa propre satire ?

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