Badiou à la défense de l’amour

« Aujourd’hui, il est nécessaire de défendre l’amour »
(Alain Badiou)

Pourquoi s’intéresser à l’amour ? Peut-être d’abord parce que l’amour est un drôle de rapport, un rapport étrange, et surtout menacé. Bientôt peut-être, ce ne sera plus qu’un lointain souvenir, des récits dans de vieilles bibliothèques et quelques filmothèques. Le mot sera toujours là, peut-être, mais il risque bien de ne nommer plus qu’une caricature.

Pour approcher un peu de la chose, il faut se souvenir de ce mal que les médecins du moyen-âge appelaient joliment l’amor hereos (c’est une transposition maladroite d’un terme arabe), l’amour héroïque, bref, le mal d’amour. Au malheureux qui souffrait d’un échec amoureux, et que le souvenir de sa belle hantait et obsédait, le médecin prescrivait des bains et des promenades dans de beaux jardins. Et un peu de musique pour adoucir sa passion. Cet amour maladif, cet amour-fou est assez loin de l’amour un peu fade que les sites de rencontre et la pornographie ont mis au goût du jour, une relation somme toute très contractualisée, où tout est donné et garanti, et qui se limite à la même vie qu’avant, un peu de tendresse en plus.

Platon, dans le Phèdre, a donné une image immortelle de la rencontre amoureuse, parce qu’il la rattache à une expérience fondamentale, une expérience délirante. L’occasion du dialogue est un discours de l’orateur Lysias, lu par Phèdre à Socrate, dans lequel il veut démontrer qu’il vaut mieux « accorder ses faveurs à celui qui n’aime pas plutôt qu’à celui qui aime. » Autrement dit, le mariage d’arrangement, rationnel et de bon sens vaudrait mieux que l’amour fou. Contre cette argumentation, Socrate s’insurge et répond que la folie, quand elle ne provient pas de maladies humaines, est un vrai don des dieux, « d’une inspiration divine qui nous fait rompre avec les habitudes ». C’est un dieu qui nous ouvre à une aventure à grands risques. Parmi ces événements fous, il y a, dit Socrate, le délire prophétique du visionnaire, le délire médical du chamane qui voit les traitements dans ses rêves, le délire poétique de l’artiste à qui les muses livrent une vision de la beauté, et enfin le délire amoureux. Et ce n’est que lorsqu’il plonge ses racines dans une rencontre inattendue et imprévisible, une rencontre folle, que l’amour devient quelque chose d’intéressant, l’expérience de l’intimité réelle.

Alain Badiou a pas mal écrit sur l’amour, et ce petit film résume bien, et avec style, ses idées principales. En somme, la mise en danger de l’amour, parce que l’amour est justement un danger, une menace contre l’égoïsme individualiste dominant. Fait par je ne sais pas qui, mais qui se débrouille bien à la vidéo, et c’est sur le compte Nowness (cliquer ici in case).

Il suffit de cliquer sur « Regarder sur YouTube »

On peut discuter la critique du calcul amoureux. Est-il si nécessaire que l’amour soit une souffrance ? Parce que l’amour-fou ne va pas sans souffrance. Cette vision un peu romantique de l’amour a surtout germé en Europe, où l’amour pouvait servir de consolation à des amants bien malheureux au milieu d’une société barbare et monstrueuse. Cet amour presque révolutionnaire aurait-il un sens dans une société un peu moins monstrueuse, un peu plus apaisée ? Ma foi.

Laisser un commentaire