La loi de l’attraction universelle

« Nous vivons dans un monde étrange: tous les progrès dans notre compréhension des choses sont seulement employés à continuer les absurdités qui existent depuis 2000 ans » (Richard Feynman)

Le problème, avec la science physique, c’est que souvent, c’est trop abstrait, et plus personne n’y comprend rien. Alors on apprend au lycée à appliquer des formules mathématiques compliquées, qui tombent tout chaud tout rôti de nos manuels, mais quel est le rapport entre ces formules bizarres et cabalistiques et la nature, la vraie ? C’est pas clair. Et peu d’hommes étaient aussi capables de l’expliquer que Richard Feynman, un des plus grands physiciens de la seconde partie du XXe siècle.

Dans cette petite vidéo d’une heure, il explique ce qu’est la science physique à partir d’un exemple apparemment très abstrait, mais qu’il sait rendre très concret : la loi de la gravitation, ou loi d’attraction universelle. Ce qui est fabuleux, c’est qu’on la comprend, elle et ses implications, et qu’on comprend la logique de sa découverte, ou de son invention, en suivant son élaboration de Copernic à Newton, en passant par Kepler et Galilée, en prolongeant jusqu’à Cavendish. Une histoire de la loi, mais une histoire logique: pas d’anecdotes historiques sans intérêt, juste la logique à l’œuvre dans cet effort pour y voir clair dans l’étrange mouvement de Mars ou Jupiter.

Qu’a-t-elle de particulièrement intéressante, cette présentation ? Quelques suggestions.

D’abord, la plupart des gens ne comprennent pas ce que veulent dire les lois de la nature. Mais en fait, ce ne sont pas que des symboles! Par exemple, la loi de gravitation, celle qui décrit en particulier le mouvement des planètes autour du soleil et la chute des corps sur terre, s’écrit mathématiquement:

{\displaystyle {F}_{A/B}={F}_{B/A}=G{\frac {M_{A}M_{B}}{d^{2}}}}

Autrement dit, la force de gravitation entre deux corps est, d’un côté, d’autant plus grande que le produit des masses est grand, et d’autant plus petite que la distance entre les deux corps est grande, parce qu’elle est inversement proportionnelle au carré de cette distance. Une conséquence étonnante, c’est que tous les corps, quelle que soit leur masse, tombent de la même façon: ils accélèrent de la même manière dans leur chute. C’est super bizarre ! Ça veut dire littéralement que la terre met plus de force pour attirer un corps très lourd, et beaucoup moins pour un corps léger. Comme si elle adaptait sa force d’attraction selon la masse du corps à attirer ! Alors qu’un homme qui tire de toutes ses forces une masse la tirera évidemment plus lentement quand elle est plus lourde !

Ce qui m’amène au deuxième point dont parle Feynman. Il oppose l’état d’esprit de la science physique à l’humanisme de la Renaissance. Pour faire de la physique, il faut un peu arrêter de regarder son nombril. Observer les affaires des hommes, leurs passions amoureuses ou politiques, c’est pas mal et ça fait de bons films, mais les vagues, mais les montagnes enneigées ! On n’observe pas la nature si on ne l’aime pas, même dans ses aspects les plus humbles. Il y a plusieurs manières de célébrer la beauté naturelle : on peut la peindre ou la mettre en mélodie. Mais on peut en chercher les lois, qui ne sont rien d’autre que les principes de sa beauté, comme dit Feynman, les motifs (patterns) réguliers qui disent quelque chose de si simple. Il paraît que Pythagore avait l’oreille si fine qu’il entendait l’harmonie de ces motifs, la musique du monde, même celle des astres. Pas sûr qu’il reste quelque chose de cette passion amoureuse pour la nature dans les laboratoires de l’industrie pharmaceutique ou dans ceux de l’agro-industrie.

D’où encore un troisième point que je vois dans cette présentation. On croit souvent que la physique procède à la manière d’une machine enregistreuse: un gars observe des événements, genre la montée et le recul de la mer au quotidien, il note dans un carnet la position de l’eau à telle heure, remarque c’est régulier, et bim, il invente une règle de calcul pour trouver l’état de la marée à telle heure et à tel endroit. A la rigueur, on peut ne rien comprendre à la marée, ne pas même savoir qu’il y a un lien avec la lune: on s’en fout. Mais c’est pas du tout comme ça que les choses se sont passées ! Newton, par exemple, qui formule le premier la loi de l’attraction. Qu’a-t-il fait, en réalité ? Il n’a pas du tout noté dans un carnet des régularités: il a cherché à comprendre, et à comprendre les causes. Il dit: il doit exister une force, une force d’attraction, partout dans l’univers. Même si on ne s’en rend pas compte, deux objets posés sur ma table s’attirent l’un vers l’autre, parce qu’ils ont une masse. Tout s’attire. Son idée géniale, alors, ce n’est pas de trouver une loi en généralisant des observations: c’est d’unifier deux domaines. Avant Newton on n’a pas l’idée qu’une feuille tombe d’un arbre pour la même raison que la lune tourne autour de la terre: chute terrestre et révolution céleste ont la même cause, l’attraction universelle.

C’est même bizarre. L’attraction universelle tiendrait toutes les choses du monde ensemble. Tout s’attire. Mais c’est extrêmement indécent ! Il y aurait de la libido dans les vieux cailloux ? Tout le monde parle d’attraction comme si c’était un fait. Mais c’est une idée, une idée géniale, d’accord, mais une idée, une manière de lire les faits. On dirait l’idée d’un hippie ou d’un vieux sorcier. C’est une manière magique de voir le monde, avec des forces partout qu’on ne voit pas mais qui sont là, et l’une d’entre elles, la première d’entre toute, la grande force amoureuse de l’attraction universelle. Elle est bizarre cette idée quand même, l’attraction universelle.

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